lundi 8 décembre 2008

Perception et réalité

Quelle que soit la manière dont un organisme explore son milieu, la perception qu'il en tire doit nécessairement refléter la "réalité" ou, plus spécifiquement, les aspects de la réalité qui sont directement liés à son comportement. Si l'image que se forme un oiseau des insectes qu'il doit apporter en nourriture à ses petits ne reflétait pas certains aspects de la réalité, il n'y aurait plus de petits. Si la représentation que se fait le singe de la branche sur laquelle il veut sauter n'avait rien à voir avec la réalité, il n'y aurait plus de singe. Et s'il n'en était pas de même pour nous, nous ne serions pas ici pour en discuter. Percevoir certains aspects de la réalité est une exigence biologique. Certains aspects seulement, car il est bien évident que notre perception du monde extérieur est massivement filtrée. Notre équipement sensoriel nous permet de voir si un tigre pénètre dans notre chambre à coucher. Il ne nous permet pas de déceler le nuage de particules dont les physiciens nous affirment qu'il constitue la réalité du tigre. Le monde extérieur, dont la "réalité" nous est connue de manière intuitive, paraît ainsi être une création du système nerveux. C'est, en un sens, un monde possible, un modèle qui permet à l'organisme de traiter la masse d'information reçue et de la rendre utilisable pour la vie de tous les jours. On est ainsi conduit à définir une sorte de "réalité biologique" qui est la représentation particulière du monde extérieur que construit le cerveau d'une espèce donnée. La qualité de cette réalité biologique évolue avec le système nerveux en général et le cerveau en particulier.
(François Jacob - Le jeu des possibles)

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