mercredi 10 décembre 2008

La conscience, une fabrique du possible ?

Ce qui donne au langage son caractère unique, c'est moins, semble-t-il, de servir à communiquer des directives pour l'action que de permettre la symbolisation, l'évocation d'images cognitives. Nous façonnons notre "réalité" avec nos mots et nos phrases comme nous la façonnons avec notre vue et notre ouïe. Et la souplesse du langage humain en fait aussi un outil sans égal pour le développement de l'imagination. Il se prête à la combinatoire sans fin des symboles. Il permet la création mentale de mondes possibles.
Selon cette manière de voir, chacun de nous vit dans un monde "réel" qui est construit par son cerveau avec l'information apportée par les sens et le langage. C'est ce monde réel qui constitue la scène où se déroulent tous les événements d'une vie. L'expérience à laquelle est exposé le cerveau pendant la vie varie d'un individu à l'autre. Malgré cela, les représentations du monde que créent ces expériences sont suffisamment semblables pour pouvoir être communiquées avec des mots. La conscience pourrait être considérée comme la perception de soi en "qu'objet" placé au centre même de la "réalité". L'existence de soi en tant qu'objet, c'est-à-dire d'une personne, constitue certainement l'une des intuitions les plus profondément ancrées en nous. Il est bien difficile de décider à quel stade de l'évolution on peut déceler un début de conscience de soi. Peut-être en trouve-t-on une indication dans la capacité, de se reconnaître dans un miroir. Et cette capacité, on ne la voit apparaître qu'à un certain niveau de complexcité dans l'évolution des primates. Quand elle est combinée avec le pouvoir de former des images de la "réalité", de les recombiner, de se former ainsi par l'imagination une représentation de mondes possibles, la conscience de soi donne à l'être humain le pouvoir de reconnaître l'existence d'un passé, d'un avant sa propre vie. Elle lui permet aussi d'imaginer des lendemains, d'inventer un avenir qui contient sa propre mort et même un après sa mort. Elle lui permet de s'arracher à l'actuel pour créer un possible.
(François Jacob - Le jeu des possibles)

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